«Un acte terroriste pour les secteurs culturels et associatifs»
Ce vendredi, au Globe
Aroma, des musiciens sans-papiers témoignaient, par le langage universel
de la musique et de la peinture, d’un moment d’humanité, un instant de
création, de partage. Des policiers sont entrés en scène. Au sens
littéral du terme. Ils ont interrompu cette parole et ont procédé à
plusieurs arrestations.
Une autre époque, pas si éloignée de la nôtre (où,
comme aujourd’hui, des citoyens en accueillaient secrètement d’autres
pour les protéger des rafles) n’a pas pu empêcher des spectacles et des
concerts de se jouer. Depuis la nuit des temps, depuis que l’Homme
enterre ses morts, l’art et les récits jouent un rôle régulateur et
fondamental dans le fonctionnement sociétal. Des trêves ont eu lieu,
dans les tranchées de Ypres ou les immeubles de Beyrouth pour que des
histoires se racontent à des individus d’opinion, d’origine, ou de
philosophie différentes. Les camps de concentration sont couverts de
poèmes gravés avec les ongles dans la pierre, et la poésie aide des
êtres humains à surmonter de grandes difficultés et permet la
résilience.
Au-delà de la fonction cathartique de la poésie, les
mondes associatif et culturel sont des opposants par nature aux idées
dangereuses. Ils sont indispensables à une démocratie en perpétuelle
construction, avec parfois des avancées, et malheureusement fréquemment,
d’effrayants reculs. Ils jettent des questions sur la place publique
dont les politiciens, s’ils sont bons, peuvent s’emparer.
Le Globe Aroma se définit comme : un refuge
artistique où les demandeurs d’asile et les Bruxellois, où le secteur de
la migration et le domaine des arts, se rencontrent.
Doit-on demain avoir peur de poser ces questions ?
Depuis vendredi, le Théâtre National devrait-il se sentir empêché de
créer un spectacle avec des sans-papiers en scène, comme il l’a fait il
ya trois ans avec Ceux que je n’ai jamais rencontrés ne m’ont peut-être
pas vu, du Nimis Group ? Doit-on craindre que des participants
sans-papiers ne se présentent plus à ces ateliers ?
Certainement, car aujourd’hui, nous avons la
malchance passagère (car en politique, les mauvais ne sont que de
passage) d’avoir une série d’élus déconnectés de la réalité humaine,
responsables du déni de la condition humaine de certains, voire de la
torture de ceux-ci. Et c’est la conséquence directe d’un choix électoral
populiste. Ceux qui votent avec des idées à court-terme se retrouvent
avec des dirigeants qui pensent à court-terme au point d’être justement
comparés à des Trump flamand. Ils en viennent à se contredire au point
d’en oublier totalement qu’en politique, il est utile de trouver un lien
entre ce qu’on dit, ce qu’on fait et ce qu’on pense .
De l’inexpérience naissent les bavures. Et de bavures
en bavures, le peuple se tait et compense. A l’heure où notre Premier
se targue d’empêcher un « Calais » belge, il est à mille lieux de
reconnaître que ce « Calais » n’existe pas grâce à la mobilisation
citoyenne, salutaire désobéissance civile. Des centaines de personnes
accueillent des êtres déracinés chez eux, des instituteurs oeuvrent pour
le droit universel à l’éducation. Le monde associatif crée ce qu’il a
toujours créé : du ciment social pour rendre une dignité à chacun.
Et depuis vendredi, notre objet social se retrouve
fragilisé car on tente de nous faire peur, d’installer la terreur. Le
fait qu’une rafle ait lieu en scène est perçu comme un acte terroriste
pour les secteurs culturels et associatifs.
Après les rafles à domiciles, notre gouvernement est
allé trop loin en entrant dans nos salles de spectacles. Demain, ils
entreront dans les hôpitaux.
C’est à en oublier que la politique est une chose
noble. Car nos Ministres de la Culture nous assurent être scandalisés.
Et au niveau local, les conseillers communaux, proches des citoyens,
doivent faire bloc face au gouvernement fédéral. Il faut exiger des élus
locaux que la police locale mette une limite raisonnable à sa
collaboration avec la police fédérale. Nous n’avons pas besoin d’une
rafle à l’efficacité relative dans un lieu aussi symbolique que le Globe
Aroma… Ce dont nous avons besoin, c’est d’un deuxième, puis un
troisième Globe Aroma. Pour qu’encore une fois, le monde culturel et
associatif compense le manque de vision politique, celle qui chercherait
à intégrer ces personnes et d’informer sur qui elles sont vraiment :
des êtres déracinés, comme l’ont été nos parents.
Que ceux-là ne posent plus un pied sur nos plateaux,
car au-delà du fait d’anéantir ces individus, ils bafouent l’objet
social qu’ils subventionnent avec un certain cynisme, notre raison
d’être et de raconter, notre fonction dans la société. Ils
auto-détruisent le système qu’ils tentent de mettre en place, se rendent
impopulaires, et n’ont aucune considération pour les citoyens qui
participent à la construction de notre société.
Lundi 12 février 2018.
Fabrice Murgia,
artiste et Directeur Général du Théâtre National Wallonie-Bruxelles